Un jour, une idée de roman s’est imposée à moi. Oui, vraiment, sans que je l’ai voulu ou prémédité. Cette petite ado m’a accompagnée de longs mois. Elle et moi, on a eu beaucoup de mal à se quitter. Aujourd’hui, le roman est fini ( enfin, je suis en mode correction, relecture… , elle dure! ) J’ai décidé d’en poster ici quelques chapitres ( donc, version pas encore finale ).
Exercice imposé à Noémie Morel en date du 11 janvier 2017 : explorer une émotion. L’élève se révélant indécise, j’ai choisi pour elle : la peur.
Je cours. Hélas, pas plus vite que les ombres qui me poursuivent. Elles me talonnent, se rapprochent.
Je perçois leurs souffles. Le mien se fait de plus en plus court.
Une chasse à courre. Je suis le cerf, la biche, le faon. L’enfant.
J’ai fait feu de tous mes bois. Mon sort est de périr sous les morsures.
Je me retrouve dans la cour, un soleil froid vient m’aveugler. Les chiennes écument d’injures, enragées ; aucun antidote ne saurait les apaiser.
L’une d’entre-elles m’accroche le bras. : « Ne crois pas que tu vas t’en tirer.»
Noémie Morel : 2/08/2003-11/01/2017
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Je suis une créature hybride, à mi-chemin. Les traits de l’adulte n’ont pas encore émergé que ceux de l’enfance ont déjà fondu. Je suis de cette espèce molle, indolente : l’adolescente. Elle ne court plus : elle se traîne, souvent sur des pieds trop grands. Je congédierais bien cet âge dit ingrat, je le remercierais, mais voilà, il se colle à mes basques, pèse de tout son poids.
Bizarrement, alors que je déteste cet entre-deux, je n’ai pas envie d’être majeure, je me complais dans les activités mineures. Celles qui ne nécessitent aucun talent ou qui permettent de ne pas le forcer.
J’ai quatorze ans, bientôt quinze, enfin dans neuf mois et je réponds au prénom de Noémie. Attribuer le même prénom à des enfants différents, j’ai toujours trouvé la pratique étrange. Les prénoms, à force d’être portés, deviennent tout élimés. Si j’avais pu, j’aurais créé le mien comme le font les stars américaines pour leurs enfants. Mes références auraient été plus littéraires : Blondine, Ophéline ou Eau Flétrie quand j’aurais vieilli, un côté burlesque, shakespearien. Je suis un songe sans la nuit d’été.
Pour moi, tout avait plutôt bien commencé, dans une famille aisée. Mon père s’est éclipsé quand j’avais six ans. Si je converse souvent avec lui au téléphone ou par mail, je le vois assez peu. Il a une autre famille, un autre môme et surtout un travail ou plutôt une mission, une vocation. Alors, moi, je passe après.
Mon paternel fait régulièrement la une des journaux, il défend les damnés de la terre : les délinquants, les trafiquants, petits et grands et les terroristes — leurs pendants religieux. Tous, pourvu qu’ils viennent de la cité. Il éprouve pour ces barres d’immeubles surpeuplées, enclavées et pour ceux qui y vivent une compassion profonde. Je le dis parce que le simple mot de bienveillance, employé il est vrai à tort et à travers, le fait sortir de ses gonds. Il a l’emportement facile, autant que le verbe.
Ma mère met la bienveillance à toutes les sauces, en remplit des cahiers ou carnets de gratitude. Moi ? J’hésite, un côté balance vers le mauvais esprit de mon père — l’esprit ne l’est-il pas toujours un peu ? — tandis que l’autre préfère les bons sentiments aux mauvais.
Je suis petite pour mon âge, même pas le mètre soixante. Alors, les autres, elles me toisent, elles se marrent. M’appellent passe-partout ou la pygmée. Je suis menue aussi et c’est pas la mode. Elle est aux gros seins et aux gros culs. Mes mots sont parfois crus. Mes cheveux sont bouclés. La norme c’est de les avoir lisses, noirs de jais. À la Kylie, à la Kim… ou alors faut être gaulée comme Bella ou Gigi1. Ces filles qui remplissent les pages des magazines people, vivent de leur physique, de leur vie affichée et que toutes veulent copier.
Dans ma classe, elles sont folles des soeurs Kardashian et je ne comprends pas pourquoi, vraiment pas. Oui, elles aiment bien Greta Thunberg aussi mais, comment dire, elles n’ont pas envie de lui ressembler.
Si elles devaient faire un choix entre l’intelligence et la beauté, sans hésiter, elles choisiraient la seconde ; Oui, oui, en 2019. La beauté, elle se voit de suite tandis que l’intelligence pour qu’elle se remarque, il faut la développer et surtout, elle n’est pas photogénique. Moi, je n’ai jamais vu un compte Instagram qui lui soit consacrée.
J’en imagine un dédié aux énigmes scientifiques. Il y aurait quoi : une centaine d’abonnés. Pour être visible sur les réseaux sociaux, mille est un minimum. En deçà vous n’existez pas.
Je force le trait. De toujours, j’ai trop appuyé sur les mines HB, au point de très vite les casser.
Pression ou pas, physiquement, je n’ai pas les arguments pour rivaliser avec ces poupées siliconées. Le seul truc pour lequel je suis douée : les cours, les matières ; autant les sciences que le littéraire. Je capte vite. Alors, j’ai de bonnes notes sans trop bosser. Les profs me kiffent, mais les élèves, les filles surtout sortent leurs griffes.
Dans ce nouveau collège intégré, pour mon malheur, en cours d’année, je n’ai pas d’amis. Au point que dans mon téléphone, mon répertoire ne contient pas plus de dix noms ; si j’enlève les parents, grands-parents et les cousins, il ne reste rien.
Les amis, je vais être obligée de les inventer. Pathétique.
Zut, je me suis encore perdue à rêvasser, à m’étourdir de pensées et je n’ai pas entendu sonner. Si ça se trouve, un jour, j’arriverais à m’oublier. Je relève mon derrière tout léger et me dirige, le coeur un peu lourd, vers mon cours de français.
1Mannequins célèbres