Jim est dans son jardin, le casque vissé sur les oreilles. En rythme, il se balance. Dans son flow, il se coule avec aisance. D’une main, il chasse une abeille.
Jim est un ado qui a des corvées. Celle du jour, cueillir les pommes. Enfin, celles qui sont pas tombées. Le pommier est vieux, le pommier est haut. Pour attraper les pommes, il doit monter sur l’escabeau. Mais voilà, Jim le rapper a peur. Grimper, ça lui colle le vertige. Il a peur pour sa pomme, peur d’y tomber. C’est trop la honte. Alors, il l’a dit à personne. Lui, il aime bien frimer. Il le fait sans vanité..un rapper qui a peur, il y a contradiction, qui contrarie sa diction. Son flow devient heurté.
Tiens, de l’autre côté de la haie, Lola la voisine lui fait signe!
-Comment tu vas Jim?
-Ça va Lola, sauf que je dois cueillir les pommes. Pff, c’est pas un taf de bonhomme!
-T’aurais pas plutôt peur de monter sur l’escabeau?
Jim est soufflé. La meuf mais comment elle le sait??????
-Je t’ai observé, t’as posé l’escabeau, t’as regardé vers le haut et puis t’es devenu blanc comme un linge et tu t’es figé. Après, c’est pas trop difficile de deviner. Tu sais ce qu’on dit: c’est pas aux vieux singes…
Jim ne dit rien. A quoi ça sert de nier.
-Jim, t’as peur des araignées?
-Non, tu rigoles….
-T’as peur de mettre la tête sous l’eau?
-Non, j’adore nager!!!!
-T’as peur de parler devant des gens?
-Non, je suis Jim, le rapper, je rappe partout, dans la rue, le métro. Les gens qui me regardent, ça me fait me sentir beau!
-Tu vois t’as pas peur de choses qui font peur à la plupart des gens.
-Ouais mais ça règle pas le problème. Je dois monter sur l’escabeau et rien que d’y penser ça me file la nausée. Comment je fais, Lola. C’est bien beau de parler mais les pommes, elles sont toujours solidement accrochées au pommier!
-Tu sais, peur avouée est à moitié surmontée…je peux venir dans ton jardin te filer un coup de main. Rassure toi, je ne dirai rien. On peut faire des exercices, tu montes la première marche et tu redescends aussi vite. C’est bizarre quand on le dit, c’est évident quand on le vit mais on a peur de nos peurs….
La peur c’est notre gendarme intérieur. Elle nous évite bien des peines, bien des malheurs. Elle nous alerte, elle nous signale, elle nous renseigne. Bon des fois, elle s’emballe, elle se trompe d’objet mais un homme sans peur c’est un homme plein de dangers…
Lola Poésitive
-ouah, j’adore! C’est moi, Jim le rapper, mes mots frappent plus que mes poings; Un jour, c’est sûr, j’irai loin…je suis le boxeur, mes peurs, je les affronte, sur le ring pour leur coller une droite, leur mettre un swing.
-Tu es Jim le rapper et tu as le droit d’avoir peur. L’accepter, c’est pas lui dire : vas y, fais ce qui te plait, prend toute la place. Non, ta peur, ne la regarde pas de trop haut, ne joue pas les prétentieux, les fiers à bras. A faire comme ça, elle ne s’en ira pas et elle aura vite fait de se moquer de toi. Ne la regarde pas de trop bas, elle serait trop forte pour toi. Ta peur, regarde la en face pour lui donner la bonne place…
Lola est entrée dans le jardin de Jim, elle se met derrière lui et le tient. Lola parait toute petite derrière ce grand gamin.
-Tu essaies de monter sur la première marche?
Jim hésite, la peur est là. A bien y réfléchir, ils ne sont pas deux mais trois. Cette peur lui accélère le cœur et lui donne des sueurs. Alors, il ferme les yeux, pour se regarder à l’intérieur. Il y voit sa peur et décide de lui donner la main. Il respire. Allez, il pose son pied sur la première marche, puis, après un temps qui lui semble long, il y pose le deuxième. Il y est. Il l’a fait. Son cœur bat la chamade. Ses jambes flageolent. Il est tout proche de la dégringolade. Il rouvre les yeux, Lola est là. Ils se regardent. Lola rigole.
-Allez Jim, descends, parce que là, t’es vraiment beaucoup trop grand pour moi!
La peur d’avoir peur
C’est un grand pas pour Jim, un petit exploit, de ceux qui peuplent notre quotidien. De ce combat, il est sorti vainqueur et il peut en être fier, d’autant plus qu’il avait peur. A le dire de cette façon là, il y a un paradoxe mais n’ayons pas peur de nos peurs, elles peuvent être de bonnes conseillères. Lola le disait; elles nous alertent sur les dangers. En revanche, quand elles nous empêchent d’avancer c’est que, probablement, elle ne sont pas ou plus adaptées. Reconnaître ses peurs, les regarder avec bienveillance et tolérance est le meilleur moyen de s’en faire des alliées. Au final, allons à leur rencontre plutôt que d’agir contre…