Le bonheur, Pessi Most ça l’agace. Il regarde les gens heureux qui le laissent de glace.
Ce qu’il en pense : « joyeux maintenant, malheureux dans un an ». Alors seulement, il esquisse un sourire qui ne dure pas longtemps. Et le voilà qui repart en râlant. Pour lui, le bonheur c’est impossible et rire, c’est une perte de temps. Il n’aime pas le perdre à des futilités, à des choses sans intérêt
Les discours sur l’optimisme le hérissent. Malheureusement, Ils sont à la mode. Pessi Most ne comprend pas. Avant, on vendait des bonbons, maintenant, ils nous vendent nos émotions…
Et si lui a envie de voir les choses en noir, c’est son droit après tout mais ce fichu bonheur est partout. S’il pouvait, Il lui tordrait le coup…
Une dictature, une forfaiture. Si le bonheur devait un jour dominer et s’il n’en restait qu’un pour s’y opposer, il serait ce dernier.
Tiens, il voit arriver Lola de loin. Il essaie donc de l’éviter mais bien plus rapide que lui, elle vient lui serrer la main.
« Bonjour Pessi Most, comment vas-tu ? »
« Lola, je te le dis tout net, je ne crois pas à toutes ces sornettes. Le bonheur et tout le tralala c’est pas fait pour moi ! Les marchands de bonheur me donnent des hauts le cœur »
« Je te comprends. Parfois, même pour moi, c’est un peu trop! Je ne crois pas que le bonheur soit impossible. Je dirai plutôt que ça n’est pas toujours possible mais tu ne crois pas qu’il vaut mieux faire commerce du bonheur plutôt que du malheur? Après tout, ça ne fait de mal à personne même si certains remportent toute la donne… »
» Tu vois, Lola , moi j’aime le noir, l’absence d’espoir. Le bonheur est impossible, tout va mal se terminer, on ne peut pas ne pas y penser. Alors, moi, le malheur, je l’imagine, je l’anticipe. Je l’attends à toutes les heures. Comme il ne manquera pas d’arriver, au moins, je serai bien préparé! «
Un silence se fait. A imaginer le noir, il y a comme un blanc.
La princesse Sinistra, le bonheur impossible
Je vais te raconter une histoire, celle de Sinistra. C’était une princesse, une fille de roi qui vivait dans la joie. Elle n’avait ni frère, ni sœur, une enfant unique. Elle adorait les animaux. Le jour de son anniversaire, son père qui l’aimait plus que tout lui fit un cadeau, une petite boule de poils frissonnante et pâle, un chaton, une femelle. Elle était si belle.
Son pelage avait la couleur de la pierre de lune et tout à côté de l’œil, elle avait une drôle de tâche, en forme d’étoile. Ça lui vint comme une évidence. Elle l’appellerait Dune. Dune était mouvante et la suivait partout. Elle la réveillait le matin en ronronnant contre son cou. La journée, la princesse partait avec elle explorer le parc. Elle lui racontait les arbres, les plantes et les fleurs. Elle l’avait toujours dans les pattes…La nuit avant de s’endormir, elle lui racontait des histoires de marins, de pirates en caressant sa petite étoile. Dune était son amie, son amiral…
Seulement, un matin comme un autre, Dune ne pointa pas le bout du museau.
Ils la cherchèrent partout, en vain. Son père fit tout ce qu’il pouvait pour consoler la princesse. Il lui promit d’autres chats mais pour Sinistra, il n’y en avait qu’une.
Sinistra changea du tout au tout. Elle se promit que plus jamais, elle n’éprouverait un tel chagrin. Alors, elle s’enferma en elle même, comme dans une tour, un espace qu’elle voulait sans peine et sans amour.
Les seuls moments de paix qu’elle éprouvait c’était à s’occuper de ses fleurs dans la serre. Elle n’en cultivait qu’une sorte, des orchidées et d’une seule couleur. La seule qui trouvait grâce à son cœur; Noire, évidemment. Le noir était devenu son pansement.
Et les années passèrent.
Un jour qu’elle s’était éloignée, perdue dans ses pensées, loin du château , elle entendit comme un feulement. Elle s’approcha et découvrit une sorte de bicoque, une masure avec au milieu une porte. Elle s’avança dans l’embrasure. A l’intérieur, une toute jeune fille était agenouillée au dessus d’une caisse. La princesse s’approcha à pas de loup, doucement sans à coup et ce qu’elle vit lui fit un choc. Elle qui se croyait solide comme le roc. Des chatons étaient pressés les uns contre les autres et l’un d’entre eux ressemblait à s’y méprendre à Dune. Au coin de l’œil, elle reconnut la petite étoile visible dans le pelage couleur pierre de lune.
La jeune fille qui venait de se rendre compte de sa présence et qui l’avait immédiatement reconnue, une fille de roi ne connait pas l’anonymat, se jeta à ses pieds.
« Oh princesse, s’il vous plait, ne nous punissez pas. Mon père pensait bien faire. Quand Il m’a vu si malade, il m’a ramené un chat. Elle était si belle, je n’y croyais pas, moi qui n’avais jamais rien eu à moi..Je croyais le bonheur impossible et là il est venu à moi. Oui, Dune m’a tenu chaud alors que j’avais froid et je vous le jure, au début, mon père ne savait pas que c’était la vôtre. Quand il s’en est rendu compte, il a eu peur qu’on l’accuse d’être un voleur et je l’aimais déjà tellement. Elle était devenue mienne, notre. Elle est heureuse vous savez et aime vadrouiller pour une femelle. Oh, elle en a fait de belles! Des fils et des filles, elle en a été pleine et là ce sont ses petits derniers…si vous voulez bien rester, vous la verrez. »
A ces mots prononcés à toute vitesse et dans lesquels elle percevait tant de détresse, la princesse sentit son cœur se fendiller et elle s’agenouilla elle aussi auprès de la portée pour prendre dans sa main Dune, le sosie. Cette dernière version lui fit l’effet d’une conversion.
A bien y réfléchir, Dune avait fait plus d’un heureux.. Elle en premier lieu, puis cette jeune fille dont elle ignorait le nom. Au final, Dune était heureuse à battre la campagne, à courir le gueux, alors qu’elle s’était rongée les sangs en lui imaginant mille tourments…
Dune le sosie s’était blotti contre son cou.
« Ne t’en fais pas, jeune fille; Toi et ta famille vous ne craignez rien. Tu feras une caresse à Dune, je te la donne mais je te prends celui là. »
Et ni de une, ni de deux, la princesse s’en retourna chez elle avec son nouveau compagnon. Sur la route, elle riait et lui fredonnait des chansons. Ce dune là était un mâle, un garçon. Déjà, Elle lui avait trouvé un nom : Allumette parce qu’il avait rallumé en elle quelque chose : un début, » un peut être « .
Arrivée au château, elle demanda audience à son père pour lui dire qu’à l’avenir, elle interdirait la misère. Elle rend plus malheureux que les dessins de n’importe quel dieu. Elle convoqua le jardinier pour lui dire que désormais, les fleurs seraient de toutes les couleurs.
De toute cette histoire, elle retint une leçon qui valait pour toutes les saisons. Elle ne s’attendait pas au malheur et il était arrivé. Elle ne s’attendait plus au bonheur et il était arrivé. Ainsi, attendre ne sert pas à grand chose. Se préparer à ce que l’on ignore ne conjure pas du mauvais sort. En revanche, espérer peut faire du bien. Ce n’est pas grandiose mais ce n’est pas rien.
Il y eut de nouveau un silence, Lola s’était peut être trompée mais il lui avait semblé, sans mentir, avoir vu Pessi Most sourire. Elle savait bien qu’elle ne l’avait pas convaincu. Ce n’était pas son but mais elle avait peut être marqué un point, fut-il d’exclamation! Ouvert une brèche ou allumé une mèche????